Le manifeste

La Gestalt-thérapie : une éthique du lien social

La Gestalt-thérapie, issue des travaux de Perls et Goodman dans les années 1950, s’enracine dans les courants psychanalytique, phénoménologique et existentiel. Elle s’est également inspirée des travaux que la Gestalt-psychologie a menés sur la forme et la perception dans la première moitié du XXème siècle.

Elle pose comme principe qu’il n’existe pas d’individu en-dehors d’un environnement. C’est la qualité des interactions avec l’environnement humain qui détermine l’ensemble des conduites, la capacité d’appartenir à une culture et de la faire évoluer en s’associant avec d’autres dans un projet social au sein d’une communauté.
Le développement individuel ne peut se réaliser que dans l’interaction, la confrontation, le métissage des différences.

La société actuelle génère d’étonnants paradoxes. Elle est celle d’une apparente communication totale dans la transparence et, dans le même temps, elle atomise les individus en les isolant de plus en plus de la communauté… voire, elle les rend de plus en plus dépendants d’un pouvoir centralisé.
L’individu atomisé devient un objet codé, évalué selon des normes établies entièrement lisibles par les neurosciences. Il est mesuré, catalogué (DSM, troubles génétiques, dysfonctionnement cérébral ou hormonal…). Tout symptôme est anormal et doit être supprimé rapidement par les moyens adéquats. Le symptôme comme énigme d’une histoire singulière portée par un sujet est évacué.

La société décide des besoins de tous et offre de consommer toujours plus et plus vite. Contrairement aux apparences, aux idéaux d’un idéalisme exacerbé, le sujet n’est plus un sujet de désir organisant sa vie dans des choix délibérés. Il est devenu lui-même un objet, une machine à consommer à qui, nous dit-on, est promis le bonheur. Bonheur au prix de la normalisation, de l’adaptation, de l’uniformisation.

Dans cette course à la consommation, les individus, endormis et livrés aux nouveaux interprètes que sont les médias et la publicité, sont orientés vers la consommation pour soi sous le couvert du bien pour tous. Les liens sociaux garants d’une culture s’estompent : liens familiaux, religieux, scolaires, groupes d’appartenance.
Les liens sociaux délités, c’est le besoin du ‘tout, tout de suite’ qui s’affirme dans la rivalité mimétique. Ce que tu as, tu m’en prives donc je te le prends. Escalade de la violence et des sectarismes, prolifération des normes et augmentation de la répression sécuritaire en retour.
Dans la course au bonheur, il faut s’adapter ou rester sur le bord du chemin, isolé, rejeté. La société se divise entre ceux qui consomment toujours plus, ceux qui ne savent pas suivre et ceux qui tirent les bénéfices de la consommation effrénée.

La Gestalt-thérapie propose une autre forme de lien social basé sur l’interaction créative des individus, préservant la singularité de chacun comme sujet de désir et de relation, comme énigme à découvrir.
Elle promeut la singularité et la rencontre, la liberté de refuser le bonheur préfabriqué et le lien illusoire de la consommation.
En contraste avec l’aspiration à une vie lisse, uniformisée, sans aspérité ni relief, la Gestalt-thérapie préserve la subjectivité, permet à chacun de choisir et de construire son destin à côté des normes établies.
Elle revendique la liberté d’aller et venir, de rencontrer l’autre, de créer une existence riche et variée, sans être surveillé, fiché, catalogué.

Ses moyens sont l’analyse du cours de la présence à soi et au monde dans la rencontre, l’ajustement créateur, la co-construction d’un espace de vie où peuvent exister différence, singularité, mystère inviolable de chacun.

André Lamy